Conseil des Nations


Strasbourg/France/NATO

Le mardi 5 mars 2058, à 14h49 UTC


Le tumulte est à son comble. Dans les gradins bondés, les Représentants des Nations sont debout, gesticulent, s'interpellent.

A la tribune, Gôô/56F82U3[Esprit], la face impassible, ses mains à quatre doigts posées à plat sur le pupitre de bois clair, attend patiemment que le silence revienne.


Pour cette session plénière du jeudi 5 mars 2058, c'est en Europe, dans le centre de conférence de Strasbourg/France/NATO que les délégués de tout le Système Solaire ont été convoqués pour un session parlementaire que tous souhaitent voir aboutir, dans les délais les plus brefs possibles, à un consensus général, à défaut d'une unanimité.

Les débats se tiennent dans le grand hémicycle de l'ancien bâtiment Louise-Weiss, inauguré au tournant du siècle, et qui a abrité, jusqu'au cataclysme de la Guerre Globale de 2029, le siège de l'Union Européenne.

Depuis la fin du chaos et la reconstruction, les règles très strictes de respect de l'écosystème et de la préservation des ressources naturelles, très éprouvées jusqu'après le conflit, ont entraîné le retour à l'état sauvage des friches industrielles, la réduction de l'emprise des villes et la réutilisation maximale des infrastructures existantes. Le vieux bâtiment, posé comme un gâteau au bord de l'Ill, a ainsi été réutilisé et est devenu l'un des onze complexes de conférences du Conseil des Nations.

Peu à peu le calme revient et les délégués réels qui se sont déplacés pour l'occasion, ainsi que les holoprojections des délégués virtuels qui suivent les délibérations à distance, se rassoient les uns après les autres.

Des empoignades entre des Représentants des Nations de partis opposés, placés côte-à-côte, mettent quelques instants de plus à s'éteindre. La répartition aléatoire, renouvelée à chaque séance, qui mélange dans les gradins les participants pour éviter les regroupements par nations ou par couleurs politiques, leur a fortuitement imposé une proximité qui leur est inconfortable, et qui les amène à s'interpeler vivement à l'occasion de chaque idée qui les sépare.

Un représentant d'ASIA, petit, potelé, le cheveux noir, visiblement excédé, voulant pousser à l'épaule son interlocuteur d'UNAFRI, un grand noir mince au regard un peu méprisant, ne rencontre que l'air. Son bras traverse l'image holoprojetée de son antagoniste qui subitement éclate de rire. Soudain conscient du ridicule de la situation, l'asiatique s'assied en grommelant en Mandarin quelque chose que l'Autolinguo ne traduit pas. Ces machines ont du tact.


Gôô/56F82U3[Esprit] est toujours là, à la tribune, debout sur le rehausseur qui compense sa petite taille, solidement campé sur ses deux jambes et appuyé sur sa queue massive. Il reste impassible, ainsi que le sont ses congénères répartis eux aussi au hasard dans le grand hémicycle. Comme tous les Esprits, il préfère rester nu, lorsque la température et l'environnement le permet. Sa peau granuleuse, qui luit doucement sous les projecteurs, est grisâtre pour le moment, ce qui traduit son grand calme. Le regard tranquille de ses larges yeux mobiles aux pupilles verticales, dupliqué sur tous les écrans encastrés dans les petites consoles, en face de chaque siège de l'hémicycle, finit par apaiser les parlementaires.  


La brouhaha, enfin, fait place à un relatif silence.


Il faut dire que le sujet est grave. Il y a un peu moins d'un an, le 15 mars 2057, les scanners optiques automatiques de l'observatoire géostationnaire Kepler, perché immobile à 35784 km au-dessus de l'Atlantique, par 35° de longitude Ouest sur l'équateur, ont repéré ce qu'ils recherchent depuis trente ans : un astéroïde venu de l'espace interstellaire plonge vers le Soleil. Il passera si vite que notre étoile ne pourra que le dévier sans le capturer : après une visite qui l'amènera presque jusqu'à l'orbite de Mars, il repartira vers l'immensité.

Mais ce n'est pas n'importe quel astéroïde : les astronomes ont annoncé il y a peu qu'il s'agit d'un corps presque entièrement métallique, un "ramoïde", un titanesque lingot de métaux rares et précieux, de Platine, d'Iridium, de Rhodium, et de Terres Rares.

Ce n'est certes pas le premier de sa catégorie, d'autres ramoïdes, certains nettement plus gros, ont traversé le système solaire depuis que des observations systématiques ont été entreprises. Mais cette fois, les caractéristiques orbitales de ce corps permettent d'envisager de l'accoster et d'y prélever des richesses.

Depuis quelques jours, le monde scientifique est en ébullition. Shiva, comme on l'a nommé, représente à lui seul, en Platine, en Iridium, bien plus de richesses que ce que l'humanité a pu extraire du sol depuis l'aube de la métallurgie.

Les Terres Rares, comme le Samarium, le Néodyme, l'Ytterbium et toutes les autres, si précieuses depuis un demi siècle pour toutes les technologies avancées, l'électronique, la cybernétique, l'holophotonique, sont là, en abondance, sur un astéroïde qui s'approche du Soleil à près de 20 km/s.  

Il n'a fallu que peu de temps aux économistes et aux politiques pour se saisir du sujet : si toutes ces ressources sont accessibles, et qu'une mission spatiale peut aller en prélever, qui s'appropriera ces richesses?

Les données, récoltées par les scientifiques depuis la découverte de Shiva, sont en accès libre en vertu du Free Information Act du 30 septembre 2036. Les gouvernements des deux blocs, ASIA et NATO, ainsi d'ailleurs qu'UNAFRI et tous les autres non-alignés, sont donc en mesure, si les fonds sont assemblés promptement et un vaisseau d'autonomie et de capacité suffisantes est affrété, d'organiser une mission vers l'astéroïde.

Des expéditions concurrentes vont-elles rivaliser pour visiter Shiva ? Qu'adviendra-t-il des richesses considérables extraites de l'astéroïde ?

La Banque Solaire, les Banques Centrales de NATO et d'ASIA et tous les économistes ont réagi très vite : une injection massive de métaux précieux dans l'économie provoquerait un cataclysme boursier, des spéculations vertigineuses et un effondrement bancaire certain. Qui plus est, le commerce des Terres Rares, dont les principaux gisements sont en ASIA, et qui contribue à l'équilibre des échanges entre les deux blocs de part et d'autre du Rideau de Titane, s'en trouverait ruiné, et les conséquences, tant pour ASIA que pour son principal client NATO, en seraient dramatiques.

Il est très vite apparu que les intérêts à court terme des nations en concurrence vont à l'encontre de leur intérêt à moyen terme et de l'intérêt général. Il est par ailleurs évident pour tous que les éléments chimiques précieux présents sur Shiva ne peuvent qu'être, du point de vue technologique, une manne bienvenue.

Ce sont les Esprits, qui depuis qu'ils ont été sollicités par les humains pour participer aux affaires publiques, ont porté la question devant le Conseil des Nations.


Les scientifiques qui les ont recréés à partir des génomes trouvés sur l'astéroïde 2043KP33 ont très vite été fortement impressionnés par l'intelligence et la maturité extrêmement précoces des Esprits. Dès l'âge de cinq ans, leurs aptitudes cognitives surpassent celles des humains les plus brillants. A huit ans ils sont déjà sexuellement fertiles, et ont atteint un stade qui suggère qu'ils sont déjà adultes. Toutefois, il semble que leur croissance soit continue, et l'on ignore encore jusqu'à quelle taille ils peuvent grandir.

Ce jeudi 5 avril 2057, dans le grand hémicycle de Strasbourg, la population totale des Esprits, qui s'élève à soixante quatre individus, est rassemblée presque au complet, suite à l'invitation du Conseil des Nations. Les plus jeunes, qui ne sont âgés que de sept ans, trônent comme leurs aînés sur les rehausseurs qui ont été confectionnés à leur intention, pour qu'ils soient à l'aise sur les sièges prévus pour les humains et puissent atteindre sans mal les commandes de la petite console multimédia qui se trouve en face de chaque emplacement.


Gôô/56F82U3[Esprit] lève maintenant ses deux bras et écarte ses huit doigts flexibles pour demander l'attention de tous. Oui, répète-t-il de sa voix nasillarde, la mission vers Shiva est indispensable, mais il est hors de question de la confier à l'un des deux grands blocs.

A nouveau la rumeur monte, mais Gôô agite les bras, et la peau de son cou, maintenant, se colore de rouge, ce qui trahit son impatience grandissante et son agacement.

Dès que le calme est revenu, il assène une seconde affirmation qui déchaîne, elle aussi, le tumulte : Gôô avance qu'UNAFRI, pas plus que les autres non-alignés, ne sont en mesure de diriger une expédition vers l'astéroïde sans provoquer de catastrophe financière.

Non, martèle-t-il, seuls les Esprits, qui eux sont détachés de toute allégeance politique à une quelconque nation, peuvent en toute neutralité organiser et encadrer une mission scientifique et minière vers Shiva.

Ses congénères, ceux qui sont là physiquement comme ceux dont les holoprojections sont perchées sur les rehausseurs, restent impassibles, tandis que de nombreux parlementaires humains interagissent fébrilement avec la petite console en face d'eux, ou murmurent dans leur communicateur.

De cette manière, poursuit Gôô, les métaux prélevés sur Shiva pourront être distribués en fonction des besoins de fabrication des produits de haute technologie, sans être thésaurisés par une puissance politique et sans faire l'objet de spéculation. Pour ce faire il faudra que la mission les dépose dans un endroit politiquement neutre, qui ne soit ni sous le contrôle exclusif d'ASIA, ni celui de NATO, ni même celui d'une nation indépendante.

Un comité international de régulation devra attribuer les lots de matériaux précieux au prorata des stricts besoins industriels, et Gôô propose que ce comité ne soit composé que d'Esprits et de CyberCerveaux.

Puis Gôô se tourne vers le Président Annuel, Peter/YRK5PLU[Chairman] debout derrière lui, un peu en retrait, pour solliciter l'appel à la tribune de Maha/67UJP3D[Esprit].

Peter acquiesce d'un hochement de tête, et Maha, qui est descendue d'un bond de son rehausseur, s'approche de son pas balancé. La nuance jaunâtre de la peau granuleuse de son dos montre son embarrassement et sa timidité. Les regards des parlementaires la suivent avec attention lorsqu'elle monte sur le rehausseur que Gôô lui a cédé, et qu'elle lève enfin ses grands yeux fendus vers l'assemblée.

Bien que les images des Esprits apparaissent abondamment dans les media, et fassent l'objet de multiples représentations réalistes ou phantasmées, bien que leur implication dans la vie publique se renforce chaque année, la présence physique dans l'hémicycle de ces êtres merveilleux, stupéfiants et inquiétants à la fois ne manque pas, une fois de plus, d'inspirer aux parlementaire un étonnement profond.


Maintenant Maha/67UJP3D[Esprit] prend la parole et aborde les aspects pratiques du projet que les Esprits veulent voir approuver par le Conseil.

Avec l'aide de son CyberCerveau le plus familier, Turing/W815ZEFT[CyBrain], avec qui elle dispute parfois des parties d'échec acharnées, elle développe les grandes lignes de la mission qu'elle propose. Tandis que Turing projette des diagrammes et des chiffres sur le grand écran et sur les petites consoles, Maha explique que le calendrier sera très serré et que le départ d'une mission vers Shiva devra impérativement se faire à partir de la station Lagrange 4, en orbite autour de la Terre, entre le 18 et le 25 mai 2058, dans à peine plus de deux mois.

Dans les écouteurs des parlementaires, ceux assis dans l'hémicycle et ceux, distants, représentés par leurs holoprojections, les paroles de Maha sont répétées par l'Autolinguo, en Spanglish, en Swahili, en Mandarin…

L'orbite de transfert, poursuit Maha, amènera le vaisseau et ses occupants, après un voyage de trois mois et demi, sur la trajectoire de Shiva pour un rendez-vous autour du 7 septembre 2058.

La mission pourra rester arrimée à Shiva jusqu'au 12 mars 2059 environ, avant de quitter l'astéroïde pour une orbite de transfert vers le système de Jupiter, la destination la plus facile, en termes de temps et d'énergie, avec un important chargement de minerais ou de métaux purs.

Sur Shiva, les robots extracteurs devront probablement se mettre immédiatement au travail. En effet, on ignore encore quelle est l'ampleur de la tâche, car la cohésion du sol de Shiva peut être celle d'un monobloc qu'il faudra tronçonner à grand peine, ou au contraire celle d'un simple agglomérat maintenu par la très faible gravité de l'astéroïde.

Quoi qu'il en soit, les cales du vaisseau devront être garnies dans les six mois que durera le séjour sur l'astéroïde.

Là, Maha marque un arrêt dans son exposé, et les écouteurs dans les oreilles des parlementaires se taisent également. Elle lève la tête, montrant les plis de peau de son cou, et la couleur orangée qui trahit son émotion.


Après un instant, elle empoigne fermement les bords du pupitre de bois, regarde droit devant elle, et poursuit.

Il y a, déclare-t-elle, un point important à préciser.

Un murmure monte de la salle.

Il est indispensable que le vaisseau chargé de métaux précieux ne rejoigne ni Ganymède, ni Callisto, mais plutôt Europe.

Le brouhaha enfle dans l'hémicycle.

Cette fois, le Président Annuel, Peter/YRK5PLU[Chairman], intervient pour demander le silence.

Le troisième grand satellite "galiléen" de Jupiter, Ganymède, n'est colonisé que par des ressortissants d'ASIA, qui y ont installé des bases scientifiques et des observatoires. Le quatrième satellite galiléen, Callisto, est quant à lui entre les mains de l'autre grande puissance, NATO. Le premier satellite, Io, est inhospitalier, et seul le second, Europe, est resté international. Les non-alignés, UNAFRI, mais aussi NATO et ASIA y ont des bases. C'est là que le chargement doit être débarqué, pour qu'il ne tombe pas sous le contrôle exclusif d'un des grands blocs antagonistes.

De cette manière, poursuit Maha, la tête penchée en avant comme pour être plus proche de son auditoire, le risque qu'une grande puissance s'approprie unilatéralement les métaux précieux est minimisé.

L'hémicycle est en tumulte, et des parlementaires, debout, hurlent et s'empoignent. Comment ose-t-elle les soupçonner de vouloir s'accaparer les richesses de Shiva !


Peter/YRK5PLU[Chairman] doit à nouveau s'avancer, et les bras écartés en signe d'apaisement, il exige le retour au calme. De nombreux participants demandent la parole, mais Maha, d'un hochement de tête et d'un clignement de paupières, signifie qu'elle n'en a pas terminé.

Elle reste encore un instant, le cou tendu, les yeux entrouverts. Elle aurait voulu cacher son émotion, paraître impassible et froide, mais son indignation devant le peu de sérieux, d'objectivité et de rationalité des humains a fait passer l'oranger de son cou au vermillon.

Ceux dans la salle qui côtoient journellement les Esprits et ont gardé suffisamment de calme pour pouvoir l'observer, savent ainsi qu'elle a du mal à supporter la situation.


Enfin, enfin, un semblant de silence tombe sur l'assemblée. Maha ouvre grand ses yeux verts et poursuit son exposé. Les replis de sa gorge ont subitement viré au gris neutre de la réflexion et de la concentration.

Elle déroule maintenant posément la suite de sa proposition.

Les richesses amassées par la mission sur Shiva devront être entreposées sur le satellite Europe dans un endroit neutre sous contrôle du Conseil des Nations, et les matériaux précieux seront écoulés au fur et à mesure des besoins technologiques, avec obligation pour les utilisateurs de justifier de leur utilisation, et avec l'interdiction de les stocker. Une surveillance devra être assurée par un comité d'économistes et de juristes afin de prévenir tout risque de spéculation et de perturbation trop forte des échanges économiques et monétaires mondiaux.

Les métaux précieux et les Terres Rares seront acheminés aux frais du Conseil des Nations vers une base du pays auquel ils seront attribués sur Europe, Ganymède ou Callisto. A charge pour le destinataire de transporter éventuellement ces matériaux vers une autre planète, la Terre ou Mars, ou toute autre destination, en fonction de ses besoins.

Une totale transparence des transactions, garantie par le Free Information Act, assurera l'équité du partage et évitera les différends.

Maha s'interrompt et pose ses deux mains à plat sur le pupitre devant elle, de part et d'autre du petit écran 3D. Sans bouger le buste, elle tourne la tête, à plus de 90° comme savent le faire les Esprits, pour croiser le regard de Gôô perché sur un rehausseur non loin d'elle. Tous les deux clignent trois fois de leurs membranes nictitantes, les paupières translucides qui balaient horizontalement leurs grands yeux. Ils se comprennent.

Dans la salle, pas d'explosion d'indignation ou de colère cette fois, mais un murmure qui enfle jusqu'au brouhaha, un croisement d'interjections, de discussions, d'argumentations.

Qui se prolonge, s'éternise.

Maha ne bouge toujours pas, elle reste campée bien droite derrière le pupitre de bois blond, les yeux brillants entre ses paupières ridées.

Peu à peu les participants perçoivent son immobilité, et les regards se tournent à nouveaux vers elle. Les quelques parlementaires qui poursuivent encore des dialogues animés avec leurs voisins prennent soudain conscience du calme revenu, relèvent la tête, remarquent les regards désapprobateurs, et font silence à leur tour.

Maha reprend la parole pour déclarer qu'elle a un dernier point important à aborder.

Ceux placés derrière elle voient la peau de son dos se teinter de jaune pâle. Maha est anxieuse, embarrassée, comme le montre la teinte qu'a pris son cou.

Les Esprits, annonce-t-elle finalement à l'assemblée, demandent instamment que ce soit eux, et eux seuls, assistés seulement de CyberCerveaux, qui composent l'équipage de la mission vers Shiva, et assurent, sur Europe, le traitement, le stockage, le contrôle et la distribution des métaux collectés sur l'astéroïde. C'est, martèle-t-elle avec force, le seul et unique moyen de garantir une totale neutralité par rapport aux forces politiques et économiques en concurrence. Le seul moyen de préserver l'équilibre économique et financier de tout le Système Solaire.

Puis, sans ajouter un mot, elle quitte la tribune, remplacée un instant plus tard par le Président Annuel, Peter/YRK5PLU[Chairman], très hésitant, pris de court, et incapable pendant un long moment d'obtenir suffisamment de calme pour pouvoir diriger les débats.


Dans un désordre difficile à juguler, les discussions se poursuivent longtemps dans la nuit, jusqu'à ce que le Président décide de clore les débats et de convoquer une session extraordinaire pour la semaine suivante, le 12 avril, dans l'espoir que les parlementaires, qui auront eu le temps de réfléchir à la situation, sauront alors prendre une décision.

Les participants virtuels éteignent un à un les holoprojections qui leur servent d'avatar dans l'hémicycle et les participants réels, à la fois épuisés et excités, s'égaient dans les rues pittoresques de la vieille ville de Strasbourg, qui n'ont guère changé depuis le début du siècle.


Malgré l'heure tardive, dans la douceur précoce de ce beau printemps, la lumière chaude des "vinstubs" invite les noctambules à un verre de vin et un "flammekueche". Les parlementaires, par petits groupes, se dispersent dans la vieille ville, dans les ruelles de la Petite France, entre les hautes maisons à colombages sombres dont les encorbellements surplombent les pavés usés.


Les Esprits, eux, du moins ceux présents physiquement à Strasbourg, se rendent en autoporteurs au restaurant La Hache, en face de l'Ancienne Douane, la plus vieille taverne de la ville, en activité depuis 1257, il y a huit siècles. Ils y ont réservé de grandes tables aux nappes à carreaux rouges.

Les voilà installés.


Les quatre doigts gris de sa main gauche serrés sur le pied élancé d'un verre de Riesling qu'il élève dans la lumière, Gôô, le plus ancien des Esprits ressuscités par les humains, demande la parole.